Impact environnemental de l’IA

Par
Sébastien Duguay, 8 septembre 2021
IA durable
Efficacité énergétique
Paradoxe de Jevons

Avec la pandémie mondiale actuelle de COVID-19, vous avez probablement entendu à maintes reprises que la réduction des transports permettrait de réduire l’impact environnemental des travailleurs. Qu’en est-il toutefois de l’impact des ressources importantes consommées en télétravail, par vidéoconférence?

Comme le montre une récente étude du MIT  l’impact environnemental de la consommation de technologie dans notre quotidien est énorme.  En plus des vidéoconférences, l’utilisation accrue des plateformes infonuagiques pour permettre la collaboration à distance contribue également à faire augmenter cette empreinte de carbone.

Ajoutons finalement les travaux réalisés dans les différents secteurs pour automatiser des processus internes à l’aide des données, de la chaîne de blocs et de l’intelligence artificielle, où les ressources consommées pour leur élaboration sont considérables. Que ce soit pour l’entreposage des données sur le cloud ou encore par l’utilisation de l’intelligence artificielle, ces technologies sont énergivores, produisent des déchets et des émissions de CO2 en plus de nécessiter des matériaux rares.

Dans le cadre de ce blogue, nous nous intéresserons aux émissions rattachées à l’utilisation des techniques d’intelligence artificielle et des améliorations qui pourraient être réalisées, tout en tenant compte de l’effet rebond qui pourrait être constaté.

L’impact environnemental des technologies peut se faire ressentir sur bien des fronts. Non seulement l’utilisation des technologies de l’information entraîne une consommation énergétique importante lors des computations essentielles à l’entraînement de modèles d’intelligence artificielle, mais la fabrication du matériel nécessaire a également des impacts négatifs sur l’environnement. Les ramifications du cycle de vie de l’intelligence artificielle sont aussi complexes que les algorithmes développés par les spécialistes du domaine.

Comme relevé par la Commission à l’éthique en science et technologie du gouvernement du Québec,  « L’ensemble du cycle de vie des technologies numériques participe actuellement à l’augmentation de la pollution globale. Elles sont de forts émetteurs de GES, consomment de plus en plus d’énergie et de ressources naturelles non renouvelables (dont des minerais « critiques ») et produisent une grande quantité de déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) ». https://www.ethique.gouv.qc.ca/fr/actualites/ethique-hebdo/eh-2021-02-26/

En 2008, le rapport SMART 2020 du Global e-Sustainability Initiative (GESI) estimait que les technologies numériques pouvaient permettre une réduction de 15 à 30% des GES mondiaux d’ici 2020. Or, les émissions de GES ont augmenté dans le monde alors qu’elles sont passées de 736 Mt CO2 Eq en 2008 à 730 Mt CO2 Eq en 2019 au Canada. Pourquoi? Qu’est-ce qui explique cette disparité?

Afin de décomplexifier le tout, attardons-nous sur l’impact énergétique de l’utilisation des technologies dans le cadre de l’IA. Un article de recherche d'Emma Strubell, Ananya Ganesh et Andrew MaCallum de l'Université du Massachusetts (UMass), publié en juin dernier, signale que l'entraînement d'un modèle d'IA peut produire plus de 272 155 kg d'émissions de CO2, soit cinq fois la quantité produite par une voiture moyenne au cours de sa vie. Un autre article intitulé Green AI, publié par l'Allen Institute for AI de Seattle, décrit une multiplication par 300 000 des calculs nécessaires à la recherche sur l'apprentissage profond entre 2012 et 2019, au fur et à mesure de l'augmentation des recherches. La publication de ces rapports et la couverture médiatique reçue ont illustré la nécessité de développer des réflexions et analyses approfondies sur l'impact environnemental de l'utilisation de l'IA, en particulier à ses débuts, et d'une remise en question de l'hypothèse selon laquelle les processus numériques sont en quelque sorte éphémères et hautement efficaces. Non seulement ils ne sont pas éphémères, mais la perception de la dématérialisation est en fait erronée: on ne dématérialise pas, on externalise tout simplement.

L’impact énergétique du développement des modèles d’intelligence artificielle est directement lié aux ressources computationnelles utilisées, c’est-à-dire aux serveurs, processeurs et cartes graphiques, entre autres. Ils existent physiquement chez les fournisseurs et ont un impact environnemental réel. Plus la capacité de l’équipement est élevée, plus le coût par unité de temps augmente et plus le temps nécessaire au calcul diminue. Pourquoi? Une plus grande capacité de travail nécessite plus d’énergie. Évidemment, quand on parle d’efficacité énergétique, on vise à découpler ce rapport en effectuant le même travail, ou plus, avec moins d’énergie. Sauf que malgré les avancées technologiques importantes dans ce domaine, l’empreinte carbone du domaine des technologies ne cesse d’augmenter. Pourquoi? Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte.

Tout d’abord, il faut spécifier que l’IA n’est pas un domaine uniforme et monolithique. Plusieurs approches et designs sont utilisés afin d’obtenir les résultats escomptés à propos de problématiques variées. Les solutions qui peuvent être entraînées sur un portable standard ne sont pas rares et ont un impact minime en IA. Évidemment, quelle que soit sa taille, l'apprentissage d'un modèle d'IA (apprendre à une machine à reconnaître un visage à partir d'un grand nombre de photographies, par exemple) sera toujours beaucoup plus gourmand en ressources que son simple fonctionnement, qui peut être instantané. Cela signifie que les développeurs doivent être attentifs à ce qu'ils essaient d'obtenir exactement avant de réentraîner des systèmes déjà opérationnels pour apporter de petites améliorations.


Paradoxe de Jevons

source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Paradoxe_de_Jevons#/media/Fichier:Graphique_illustrant_lEffet-dUne_baisse_des_co%C3%BBts_de_production.svg

C’est à ce point qu’un questionnement qui sort de l’aspect strictement technique doit intervenir. Que cherchons-nous exactement à accomplir avec le développement ou le ré-entraînement d’un modèle d’IA? Quel sera son impact environnemental, social et économique? Le jeu en vaut-il la chandelle ou l’avancée technologique devrait-elle profiter d’un laisser-passer au nom du progrès technique? Nous ne prétendons pas détenir de réponse définitive à ce sujet, mais plutôt la conviction que le questionnement et la discussion doivent avoir lieu, d’autant plus qu’une augmentation de l’efficacité énergétique des équipements utilisés n’est pas garante d’une diminution des impacts comme le montre le paradoxe de Jevons. En économie, le paradoxe de Jevons se produit lorsque l’augmentation de l'efficacité avec laquelle une ressource est utilisée entraîne également une augmentation du taux de consommation de cette ressource augmente en raison d'une demande croissante. On parle de paradoxe puisque l’on a tendance à croire qu’une meilleure efficacité entraîne une diminution de la consommation d’une ressource. C’est le but d’une meilleure efficacité, non?! Ce qui peut se produire c’est que l’amélioration de cette efficacité entraîne une plus grande disponibilité de la ressource sur le marché et donc une diminution des prix. Cette diminution fait entrer de nouveaux joueurs dans le système et une utilisation accrue par les acteurs présents du fait de la baisse des prix. En bref, dans ce contexte, une augmentation de l’efficacité (avec un recul des coûts) va-t-elle entraîner une diminution des impacts environnementaux de l’IA ou en réalité les augmenter? Encore une fois, difficile de prévoir l’avenir, mais les mesures d’efficacité énergétique mises en place dans les dernières décennies n’ont pas permis de diminuer globalement nos émissions de GES et il n’y a pas de raison de croire que ce sera différent avec l’IA.

Si plus d’efficacité n’est pas la solution, qu’elle est-elle? En fait, comme dans d’autres domaines de consommation, le comportement et les choix des acteurs ont parfois une incidence beaucoup plus importante sur l’environnement que les solutions technologiques. Ainsi, la vraie question à se poser est de savoir si nous avons vraiment besoin d’entraîner tel ou tel modèle afin de répondre à une problématique à laquelle nous faisons face. Le problème peut-il être résolu en totalité ou en partie avec l’automatisation de règles d’affaires? Existe-t-il des modèles pré-entraînés qui puissent satisfaire les contraintes de la situation?

Il est primordial que le développement de mesures d’efficacité soit accompagné d’éducation et de sensibilisation aux impacts environnementaux. Une amélioration de l’efficacité énergétique d’une technologie, quelle qu’elle soit, n’est une bonne chose que si cette dernière n’est pas annulée par le comportement de celles et ceux qui l’adoptent. Choisissons judicieusement.

Enfin, il faut également souligner que peu de données sont disponibles afin d’évaluer l’impact positif de l’IA sur l’environnement. L’entraînement et l’utilisation des modèles comportent des coûts énergétiques importants, mais si le remplacement des services traditionnels par l’IA entraîne une baisse des émissions de GES, le bilan pourrait être positif dans une perspective plus large.